vendredi 17 avril 2015

Marko, maître de la jungle !

Richard nous propose un post consacré davantage à Marko qu'à Oxymores. Marko parce que nous le connaissons, parce que nous suivons son travail et qu'il apparaît comme "étonnant" par rapport aux autres artistes invités.
[voir aussi Marko... au ministère de la Culture !]




Oxymore est aussi facile à placer dans une conversation qu'efflorescence [*]. Le titre de l'intervention est certes complexe (il appartient au lexique de l'étude linguistique) mais il est, ma foi, bien trouvé. En effet, plusieurs street artists ont été invités par le ministère de la Culture à "décorer" les grandes vitres qui constituent la façade donnant rue Saint-Honoré. "Décorer" n'est pas le bon terme : il s'agit pour les artistes d'utiliser le support des vitres pour réaliser une œuvre. Une œuvre, pour ce que j'ai pu en juger, qui caractérise leur art. La comparaison montre à l'évidence la variété des styles et même des matériaux utilisés. Cette extrême diversité n'est qu'un exemple d'une palette encore plus large des grandes lignes du street art français. Il serait illusoire de recenser toutes les voies empruntées par les street artists pour au moins deux raisons : les critiques ont toutes les peines du monde à définir le "concept" de street art – on peut d'ailleurs s’interroger sur la pertinence de la recherche d'une définition qui aurait pour ambition d'englober toutes les formes de cet art –, la seconde raison, qui me paraît rédhibitoire, est l'évolution très rapide de cet art qui est devenu, en quelques décennies, quasiment universel.

Pour ma part, je refuse de perdre, pour l'instant, mon temps, à figer d'un mot un art qui s'enrichit constamment de formes nouvelles, de nouveaux supports, de nouveaux matériaux.

    



Dans les œuvres "exposées", ce sont les animaux de Marko qui retiennent l'attention des chalands. Sans nier l'intérêt des autres productions, je parlerai dans ce billet uniquement de Marko. Pas seulement parce que ses peintures attirent l’œil, mais pour d'autres raisons : je suis son travail depuis presque 20 ans et il est vraiment passionnant d'observer quels chemins sont explorés, quelles sont les impasses, les recherches porteuses d'avancées.

Marko a peint un chat [sphynx], un jaguar et un guépard. On pourrait s'étonner qu'un artiste contemporain prenne comme sujets des animaux, comme les peintres, les dessinateurs, les sculpteurs des années 1920. Après les motifs végétaux de l'Art Nouveau, sous l'influence de l'Exposition coloniale et du goût pour l'orientalisme et l'exotisme, Marko prend un thème, à vrai dire, vieux comme le monde. Je crois comprendre le fil rouge qui a amené Marko, le peintre de la lumière, au thème archiclassique des fauves. Un point de départ est le chat noir, notre chat noir, celui qui est peint à droite du visage de Frida Kahlo. Nous avons montré que Marko, dans un premier temps, n'avait pas pensé au chat noir. Il avait une réserve à droite du portrait et c'est cette réserve qu'il a utilisée pour peindre le chat noir. Pourquoi pas un chat, Frida Kahlo, dans ses centaines d'autoportraits, s'était souvent représentée avec des animaux familiers, dont des chats. Mais comme le démontre le commentaire de Marko sur sa page FB, le chat l'intéresse comme être mystérieux et ce sont surtout ses yeux qui esthétiquement concentrent son intérêt. Ils éblouissent, peints de jaune fluo. Dans d'autres œuvres, Marko ira plus loin en peignant de couleurs phosphorescentes les yeux des chats. Dans le commentaire qu'il fait de ces trois fauves, Marko propose aux spectateurs de flasher les yeux des félins. Nous y voilà, les félins sont effectivement des animaux dont les yeux éclairés brillent la nuit. Encore la lumière, toujours la lumière au centre des essais de Marko.

    



Les fauves attirent l’œil, il est vrai, parce qu'ils sont peints de couleurs vives, fluorescentes et phosphorescentes. Ils ont aussi un autre intérêt plastique, c'est la fusion du calligrafisme et du vitrografisme. Ces termes sont des néologismes inventés par Marko. Le détail montre l’enchevêtrement de ces deux techniques qui, ici, se mêlent (contrairement à Frida 2). De plus, nous retrouvons le dropping, déjà largement utilisé par Marko et beaucoup d'autres. Ce qui me semble, d'un point de vue technique, le plus original, ce sont les coulures. Les taches et les coulures sont été, de tout temps, les "défauts" de la peinture de chevalet. Dans ces trois œuvres, encore davantage que dans les autres, les coulures sont des éléments recherchées. Contemplant ces trois fauves, je me suis étonné d'être aussi sensible aux coulures. Réflexion faite, je crois avoir compris la raison de cet intérêt soudain. Les entrelacs des calligrafs et des vitrografs représentent l'animal, son aspect, son volume, le dynamisme de son mouvement. Nos sens et notre cerveau réunissent des traits "abstraits" différents pour renvoyer à notre imaginaire des félins. La longue coulure, les gouttes, nous rappellent que ce que nous voyons n'est pas un chat, un jaguar ou un guépard mais des peintures. Nulle recherche du naturalisme du XIXe siècle. Les peintures ne sont pas des aquarelles d'Audubon. Nous ne sommes pas dans le réel de la science dite naturelle mais dans une œuvre graphique qui coule et qui bave. Cela me renvoie à d'illustres prédécesseurs dans d'autres arts. Je pense à Rodin, regardez son Balzac de 1891-1897, et à Giacometti et sa tête monumentale de 1960.

Marko sur la page de son site Internet représente la tête de son tigre et une formule "Light up the world". Il n'est pas faux que "in light we trust", mais c'est réducteur. Marko tel L'Homme qui marche avance et, chemin faisant, invente des formes et nous interroge sur les relations que nous entretenons avec le monde des représentations.

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