samedi 29 novembre 2014

Les Vidangeurs de minuit

        
Émile Chautard

       
Dessin de Maurice Berdon

Émile Chautard, typographe de son métier, a compilé pendant plus de vingt ans des complaintes populaires qu'il a ensuite publiées sous le titre Goualantes de La Villette et d'ailleurs en 1929 chez Marcel Seheur.
La Villette "grâce" au Dépotoir avait le triste privilège de vidanger les fosses d'aisances des immeubles des quartiers chics de Paris. Le ballet nocturne de ces pompes était très bruyant à cause de leurs roues en métal sur les pavés mais nul ne se plaignait de peur de se faire agresser par les cochers dont le vocabulaire était particulièrement fleuri !
Voici donc la Chanson des Vidangeurs – version de 1876 – avec en introduction la présentation d'Émile Chautard.

Cette chanson, intitulée aussi  Les Vidangeurs de Minuit ou la Pompe à merde, dont les paroles et musique sont de Ch. L., intéressa au plus haut point les vidangeurs du quartier de La Villette qui, au cours des années, modifièrent un peu le texte. Nous donnons ici la version entendue chez un marchand de vin établi ancienne rue d'Allemagne (avenue Jean-Jaurès), où se réunissaient, le dimanche soir, un groupe d'ouvriers de la maison Richer. [La maison Richer, comme Moritz & Cie dont j'ai déjà parlé, étaient des établissements spécialisés dans la vidange des fosses septiques]

Les Vidangeurs de Minuit
Nocturne philosophique

I
Soupe à l'oignon, bouillon démocratique,
Perdreaux truffés du faubourg Saint-Germain,
Vous le savez, la chose est authentique,
Manger le soir et chier le matin.

Refrain
Il ne faut pas que rien n'se perde,
Dans la natur', car tout est bon.
Amis, pressons la pompe à merde,
Le jour paraît à l'horizon...

II
Riches et puissants qui bouchez vos narines,
Quand nous pompons le fruit de vos excès,
Si nous n'allions nettoyer vos latrines,
Que sentiraient vos antiques palais.

III
Humble ouvrier, ta modeste cuisine
Te fait du riche envier les festins...
Console-toi, les produits qu'il rumine
Ne se vendront pas plus cher que les tiens.

IV
Fille de rois, ne fais pas tant la fière,
Tu dois chier parce que Dieu l'a voulu.
Un cul princier comme un cul prolétaire,
À la nature doit payer son tribut.

V
Ô vanité des choses de ce monde,
Rose et jasmin, qu'êtes-vous devenus?
Vous vous flattiez d'embaumer à la ronde.
La merde passe et l'on ne vous sent plus...

VI
Le peuple un jour d'une royauté vaine
Brisa le sceptre et le trône odieux !
Seule ici-bas la merde souveraine
Aura toujours son trône en tous les lieux.

VII
Qu'à la frontière un jour le canon tonne,
Que la patrie un jour soit en danger
On nous verra dans les champs de Bellone,
Mieux que Cambronne, emmerder l'étranger.

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