lundi 20 octobre 2014

Un mur à visage humain !

Richard nous propose aujourd'hui un post sur des portraits rue des Pyrénées.


Rue des Pyrénées, 20e arrondissement. Un jardin public bienvenu par ce jour d'été. Un peu d'ombre, une fontaine et, en contrebas, un long mur de plus de 50 mètres de long. Les street artists se sont approprié ce mur depuis plusieurs années. Ce "spot" accueille des œuvres souvent de bonne facture. Aujourd'hui, je découvre un ensemble très organisé et une mise en valeur des œuvres tout à fait inhabituelle. Faucheur, c'est le nom de l'artiste, a collé des "affiches" blanches et marron, en alternant les couleurs. Chaque affiche est surmontée d'une bordure du mur peinte. Alternent de cette manière des bandes noires et blanches soulignant par contraste les œuvres. Il s'agit, en fait, d'une exposition en plein air (souci de la présentation des œuvres, signature de l'artiste, l'ensemble est daté – septembre 2014 –, remerciements de l'artiste aux collaborateurs...)

Vidéo de la réalisation de ce portrait
Les œuvres sont des portraits d'hommes. Le portrait, en peinture, a une histoire. Je vous la résume à grands traits. La représentation du visage a été, à partir de la Renaissance, un moyen pour le Pouvoir d'imposer son image et, par voie de conséquence, son autorité. Les Puissants, en Europe, faisaient peindre leur portrait et les envoyaient dans leurs territoires pour être connus et "reconnus". Il n'est pas nécessaire d'insister sur l'écart entre le portrait et son modèle. Les Puissants (le roi, les seigneurs, etc.) donnaient d'eux l'image qui servait l'exercice de leur pouvoir. Dans de rares cas (médaillons peints pour la négociation de mariages princiers, par exemple), la ressemblance était recherchée. Conclusion, il est bien difficile aujourd'hui de savoir à quoi ressemblaient les Puissants car les portraits ne leur ressemblent pas. En recoupant avec des sources écrites, elles aussi, biaisées, on peut avoir une idée du visage d'Anne de Bretagne, de Louis XIV, de Marie-Antoinette.
La fin de l'Ancien régime et le triomphe de la bourgeoisie en 1789 changeront la donne sociale. Les bourgeois se feront peindre pour affirmer leur réussite sociale, la graver en quelque sorte dans le panthéon des Arts, comme les aristocrates d'antan. Je vous passe, par peur de lasser, les portraits de Jésus (souvent un bel homme grand, blond, aux yeux bleus), les portraits de Jeanne d'Arc (la seule représentation est un petit dessin fait en marge des minutes du procès de Rouen). Il faudra attendre la photographie, au milieu du XIXe siècle, pour changer l'enjeu social et politique du portrait en peinture.

Revenons rue des Pyrénées. Un street artist colle des affiches et peint des portraits. Les visages sont très différents : des hommes imberbes, d'autres portant la barbe, des jeunes, des hommes plus âgés, des "blancs", des "noirs", des types ethniques fort dissemblables. Les visages sont très travaillés : les expressions sont traduites avec une grande justesse (la gravité, l'esquisse d'un sourire...). Les "contours" sont dessinés (le haut de la tête, les oreilles, le cou, les limites extérieures du visage) mais c'est la partie centrale du visage, en particulier les yeux, qui a concentré d'attention de l'artiste.

On peut tenter une hypothèse pour expliquer ce choix dans la représentation. L'enjeu pictural est de rendre compte de l'expression. Les traits qui traduisent l'expression sont la position générale de la tête, les yeux, la bouche, les joues, le nez et non le cou, les cheveux, les oreilles. C'est la première hypothèse. La seconde serait un choix esthétique (détails de la zone centrale du visage, contours tracés plus que peints à grands "traits") qui renverrait à des études de portraits. Je me souviens des travaux préparatoires des grands peintres de la Renaissance italienne. Plus proches de nous, les croquis de Delacroix, ceux de Degas.

Je pense que ces deux pistes sont vraies en même temps. Le "challenge" pour le street artist est, avec des bombes aérosols, de traduire ce qui est le plus difficile à faire d'un point de vue technique, non seulement les traits, mais l'expression.

Le détail des portraits de Faucheur montre, ce n'était pas évident au premier regard, la variété des couleurs (du noir, du blanc mais aussi des ocres et du bleu) et la virtuosité de l'artiste dans l'utilisation des projections de peinture. Comme dans la peinture de Seurat, les gouttes vaporisées sont autant de tâches de couleurs qui se combinent. Du "pointillisme" de l'exécution ressort un beau rendu des formes et des volumes.

Ces portraits sont pour moi un manifeste artistique. Le street artist comme les Anciens avec ses outils peut aborder la grande complexité. Nous sommes loin d'Andy Warhol et de ses portraits de Marilyn Monroe tant copiés, loin des facilités des reproductions d'icônes de la bande dessinée par nombre de street artists.

Le street art est un art, un art nouveau qui se construit ici et ailleurs tous les jours. En ce sens, c'est un art vivant, qui explore, qui découvre de nouveaux outils et de nouveaux territoires.
Diaporama de 12 photos
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